Le gouvernement abandonne le Plan vélo : un projet à « 2 milliards d’euros » s’évapore
29 octobre 2024 | Par Marie Turcan
Le gouvernement met au rebut l’ambitieux Plan vélo 2023-2027. Les plus d’un milliard d’euros d’investissements prévus sur cinq ans ne sont plus qu’un lointain souvenir. Le nouveau ministre des transports préfère, quant à lui, miser sur les cars.
En règle générale, un magicien n’aime pas qu’on révèle ses secrets. Mais les associations de cyclistes n’ont que faire de la réputation de prestidigitateur de l’État. Depuis quelques semaines, elles braquent leurs phares en direction d’une disparition hallucinante : des centaines de millions d’euros, promis aux collectivités dans le cadre du Plan vélo, qui se sont évanouis dans la nature.
« Pas de commentaire », répond officiellement le ministère des transports auprès de Mediapart. François Durovray, le nouveau ministre, a néanmoins confirmé le dégonflement de ce Plan vélo face aux associations de cyclistes qu’il avait conviées vendredi, pour un échange après la mort de Paul Varry, tué par un automobiliste à Paris le 12 octobre. Il aurait avancé « des coupes budgétaires » pour justifier ce revirement, selon plusieurs sources présentes sur place.
« Je vous confirme que 400 dossiers sont actuellement gelés dans l’instruction du Plan vélo », corrobore Frédéric Cuillerier, coprésident de la commission transports de l’Association des maires de France (AMF), qui regrette sèchement que ce « coup de pouce assez exceptionnel » disparaisse pour faire des « économies de bouts de chandelle ».
Une cycliste à Lyon, le 26 mai 2021.
Photo Antoine Boureau / Hans Lucas via AFP
La temporalité de cette coupe budgétaire fait particulièrement grincer des dents, alors que vient de s’ouvrir un débat de société national sur les violences routières et la sécurité des cyclistes.
2023, l’année de l’espoir
Pour comprendre l’ampleur du désenchantement, il faut se remémorer l’élan d’enthousiasme de l’an passé. Élisabeth Borne, première ministre, dévoilait un projet cher à son cœur : « 2 milliards d’euros pour le vélo d’ici 2027 ». L’objectif était de « donner accès à chaque Français à une solution de mobilité écologique ». Il s’agissait de « moyens historiques », insistait Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports.
« On a tout de suite félicité cette initiative », se remémore Catherine Pillon, secrétaire générale du Club des villes et territoires cyclables et marchables (CVTCM), qui rappelle qu’Élisabeth Borne avait, dès 2018, dégagé un budget de 50 millions annuel pour la pratique cycliste lorsqu’elle était ministre des transports. En 2022, elle avait augmenté la dotation à 250 millions d’euros pour l’année 2023.
Puis, c’est la consécration. Le grandiloquent Plan vélo 2023-2027, qui entérine ces 250 millions d’euros, chaque année, pour « l’accélération du développement des aménagements cyclables ». S’ajoutent des millions d’euros supplémentaires pour la formation à l’école et quelques dizaines de millions pour fabriquer des vélos made in France. « On nous promettait de quintupler le budget annuel par rapport au précédent quinquennat ! De nombreuses collectivités se sentaient enfin soutenues », insiste Catherine Pillon.
2023 se passe comme sur des roulettes. D’un côté, 100 millions d’euros sont répartis entre une centaine de collectivités. La région Auvergne-Rhône-Alpes, par exemple, reçoit 12 millions d’euros pour 36 projets lauréats. L’État prend en charge une partie des investissements cyclables, de 15 à 50 % en fonction de la taille des collectivités concernées.
En parallèle, le nouveau dispositif « Appel à territoires cyclables » permet d’allouer 125 millions d’euros à des intercommunalités « peu et moyennement denses », sur six ans. La communauté de communes de Sarrebourg Moselle-Sud lance ainsi un chantier à 12 millions d’euros pour relier les pistes cyclables du territoire, avec une prise en charge à moitié par l’État.
« On n’aurait jamais pu le faire sans cette aide, indique à Mediapart son président Roland Klein, qui précise que les chantiers vont bientôt commencer. Il y a un énorme enjeu. Pour que les habitants se mettent à la mobilité douce, il faut beaucoup de pédagogie et de travaux de sécurisation. »
Le malheureux « Club des 27 »
Au total, 27 lauréats ont bénéficié de ce mécanisme. Ils pourraient bien être les derniers. « Comme le Club des 27 », ironise Valérie Faucheux, l’adjointe aux mobilités et déplacements de la ville de Rennes. « On aurait dû y voir un signe… », glisse-t-elle, en référence à la mort d’artistes comme Jimi Hendrix ou Janis Joplin, décédés à l’âge de 27 ans.
L’élue est amère car, comme toutes les associations l’ont remarqué, il n’y aura pas de deuxième édition à ce programme visant « les territoires les moins équipés ». C’était pourtant une promesse de Christophe Béchu, ex-ministre de la transition écologique, qui annonçait que « 125 millions d’euros supplémentaires ser[aient] affectés à un second appel à projets, qui sera[it] lancé en avril 2024 ».
Le site officiel du ministère de la transition écologique indiquait aussi que ce nouvel appel serait « lancé en avril ». Mais, comme l’a repéré Mediapart, cette phrase a été discrètement supprimée le mois dernier, faisant disparaître l’existence même du dispositif. Circulez, il n’y a plus rien à voir.
« Heureusement qu’on a été rapides pour répondre au premier appel ! », s’amuse Roland Klein. L’élu partage toutefois une pensée pour les autres territoires ruraux qui, à la différence de Sarrebourg, ne pourront pas profiter du dispositif volatilisé.
400 collectivités ont bien pu postuler, début 2024, pour se répartir les 125 millions d’euros promis (…) Mais la dissolution surprise a tout balayé.
Pour le volet principal du Plan vélo, la situation est carrément embarrassante, puisqu’il n’est pas possible de faire disparaître une simple mention d’un site internet. 400 collectivités ont bien pu postuler, début 2024, pour se répartir les 125 millions d’euros promis. Les dotations devaient être annoncées à l’été, mais la dissolution surprise décidée par Emmanuel Macron a tout balayé.
Depuis, c’est le grand silence. « En Normandie, 23 projets candidats portés par 16 collectivités normandes ont été reçus. Le cahier des charges prévoyait une annonce des lauréats à la mi-juillet 2024. Cette annonce a été reportée suite au changement de gouvernement. Nous sommes dans l’attente de ces arbitrages », indique-t-on ainsi du côté de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement Normandie.
Seront-ils finalement alloués d’ici à la fin de l’année, comme on le laisse entendre dans le camp macroniste ? Dans tous les cas, le temps passe et les collectivités « ne peuvent plus se projeter », regrette le député écologiste Nicolas Bonnet. On peut résumer ainsi les choses : entre un appel à projets annulé et un autre dont les réponses semblent gelées, pas le moindre euro n’a été attribué en 2024 sur les 250 millions annoncés.
On est en train de renforcer la dépendance à la bagnole.
Marie Pochon, députée EELV de la Drôme
« Les grandes villes comme Paris vont s’en sortir, témoigne Florent Giry, adjoint au maire chargé des transports à Paris-Centre, mais pour certaines communes, notamment rurales, c’était le coup de pouce nécessaire pour rendre leurs projets possibles. »
L’année 2024 est presque terminée et tous les regards se portent sur le budget de l’année à venir. Le gouvernement Barnier, faisant mine de découvrir un gigantesque trou dans les caisses, ne parle plus que de coupes, sur plusieurs années, à tous les niveaux.
Dans le projet de loi de finances pour 2025, on lit que le montant prévu en crédits de paiement (CP) pour le plan « vélo et marche » est de 100 millions d’euros, contre 150 millions d’euros en 2024, ce qui représente déjà une baisse de 33 %. Mais un élément inquiète encore plus : la disparition des autorisations d’engagements liés au Plan vélo, qui témoignent en temps normal de la volonté du gouvernement de se projeter, ou non, sur plusieurs années.
En 2024, elles étaient de 304 millions d’euros. Pour 2025, elles sont de 0 euro. « On éteint progressivement les crédits de paiement », s’inquiète Thibault Quéré, directeur du plaidoyer pour la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB).
Cap sur les cars
Plusieurs élu·es écologistes ont tenté de s’emparer du sujet en déposant des amendements au projet de loi finance 2025, mais ils ont été rejetés mardi dernier. « C’est illogique en matière d’aménagement du territoire et cela va à contresens de la justice sociale, regrette Marie Pochon, députée écologiste de la Drôme, auprès de Mediapart. On creuse la fracture avec les zones périphériques rurales. On est en train de renforcer la dépendance à la bagnole. »
Elle s’est heurtée, au cours des débats au sein de la commission développement durable de mardi dernier, à un mur prévisible du côté des élu·es Rassemblement national (RN), qui ont proposé jusqu’à la suppression de toute aide vélo. Mais également à la justification, surréaliste, de la rapporteure macroniste Danielle Brulebois, qui a expliqué ainsi son avis défavorable : « Le gouvernement a déjà pris des engagements concrets pour soutenir le vélo, a-t-elle déclaré, les yeux rivés sur ses notes. Notamment à travers le Plan vélo de 2023-2027, qui était doté de 1,25 milliard d’euros sur cinq ans. » Brouhaha dans l’assistance. La rapporteure ne s’est même pas rendu compte que c’est précisément la disparition de ces fonds qui est au cœur des débats.
Le ministre François Durovray, auditionné devant cette même commission, a quant à lui eu une brève pensée pour le vélo, avant de rappeler sa priorité : le lancement d’un « plan national de cars express » au premier trimestre 2025, qui vise à multiplier la mise en circulation de ces véhicules thermiques pour s’occuper, assure-t-il, « des Français qui n’ont aujourd’hui aucun moyen de transport ».