un peu de poésie dans ce monde de brutes Promenade anodine au gré des ondulations estivales ; une course à faire peut-être, deux barres de céréales pour la sortie de demain, un tour de vélo dans la montagne. On s'en voudrait presque de n'être pas sur sa bécane, à pédaler encore par un temps pareil ; indéfiniment ; à l'éternité, tout livré sur son vélo - la nature a si bien fait les choses, pourquoi ne pas pousser jusqu'au bout la magie du vélo ?
Lorsque le sens de l'existence m'échappe, qu'est-ce qui vient à mon esprit, dans la vacuité du monde ? Une image de vélo, pour remplir le vide du cosmos. Lorsque le sentiment de lucidité m'abandonne, qu'est-ce qui me redonne foi dans l'homme et m'éblouit de son essence précieuse ? Le vélo…
Je suis désarmé devant tant de magie. Devant ce triomphe permanent qu'est : un vélo. C'est cette chose mince qui est le moyen d'aboutir au plus accompli des arts de vivre. Un vélo, c'est la classe pure. Un vélo, c'est un monstre de dignité.
Que dire de plus : montez sur la selle, et pédalez. Rien de plus. Soyez touchés au cœur. Vous ne touchez plus terre et vous avancez.
Promenade anodine au gré des ondulations estivales ; sur le trottoir, au coin d'un immeuble, des ordures s'amoncellent, dans une disgrâce pestilentielle. Auprès de cet immondice montagneux un petit objet illumine le monde d'une lueur céleste devenue pâle. Mon cœur manque un battement. Posé là, un petit vélo. Petit comme paraît la main minuscule d'un nouveau-né. Petit comme une noix devant une pastèque. Petit comme notre premier cartable. Et pourtant grand comme la lune. Un vélo d'enfant, tout bête, posé là.
J'ai imaginé son petit propriétaire, fier comme un pirate, faisant ses premiers tours de roue sur sa bicyclette infernale, fragile petit alliage de tubes et de câbles.
J'ai imaginé… Et je n'ai eu que peu de temps.
Ce vélo offert aux poubelles, c'était un déchirement - en si bon état : qu'est-ce qui pouvait justifier telle injure à la nature ?
J'avais bien cru voir son regard triste, à ce petit vélo. Un regard triste de petit vélo… savez-vous ce que c'est ? Mais c'est un coup de fleuret au cœur !
Ce petit vélo était en deuil.
Son propriétaire, aussi petit que lui, ne le ferait plus jamais rouler. Son propriétaire, aussi petit que lui, avait quitté ce monde. Parfois votre cœur a honte de continuer à battre. Une petite âme s'en va, et vous avez presque honte d'être encore là.
Et ce petit vélo.
Devant son regard triste, j'ai baissé le mien.
source :http://www.velochronique.com/chroniques/